
MARCO BARADA. Il s’agissait d’une discussion dans l’un des grands halls du Palais des festivals de Cannes, d’abord avec le réalisateur américain Christopher McQuarrie au sujet du dernier volet de Mission : Impossible – The Final Reckoning (qui sort en France le 21 mai). Mais, bien sûr, ce rendez-vous s’est transformée en un tête-à-tête avec la star et le producteur du film, Tom Cruise, lorsqu’il est apparu sur la scène. L’histoire de cette rencontre au sommet, révélant les secrets de la saga.
La rencontre avec McQuarrie devait initialement être un retour sur la carrière de ce producteur, réalisateur et scénariste, particulièrement connu pour la saga Mission : Impossible. L’Américain de 56 ans, affable bien que réservé, expliquait que la réalisation avait toujours été sa vocation, et que l’écriture lui avait servi de porte d’entrée dans l’industrie du cinéma. L’auteur du surprenant scénario de Usual Suspects (Bryan Singer, 1995) (comment oublier Keyser Sozë ?) confiait que ses principales influences venaient du film noir, et s’étaient glissées dans le film sans qu’il ne s’en rende compte.
Mais sa véritable passion de McQ était de réaliser, et de trouver ce juste équilibre entre cinéma de divertissement et cinéma d’auteur — un privilège réservé à très peu. Pour lui, écrire revient à pousser un rocher en haut d’une montagne, tandis que diriger consiste à le laisser rouler vers le bas. Lorsqu’il réalisa son premier film, The Way of the Gun (2000), il se heurta de plein fouet à la réalité du métier : il dut faire le film que les producteurs voulaient, et non celui qu’il aurait voulu faire. Dès lors, regrettait-il, on ne l’appelait que pour reproduire la formule d’Usual Suspects, alors que McQ aspirait à explorer d’autres voies narratives. Sur le point de quitter le métier pour de bon, il accepta finalement un rendez-vous avec quelqu’un qui allait bouleverser sa vie : Tom Cruise.
L’acteur arrive sur scène

Il ne fallut pas plus de quinze minutes pour que la superstar hollywoodienne entre sur la scène de la salle Debussy sous une ovation générale. Et, comme on pouvait s’y attendre, il vola la vedette à McQ (ce dernier ne semblant pas s’en offusquer). Ce qui suivit fut une conversation passionnante entre deux géants, dont le tandem iconoclaste a maintenu en vie une franchise (et en partie, une industrie) qui attire des millions de spectateurs à chaque sortie et engrange des recettes faramineuses. Et tout cela repose sur une philosophie simple : combien de gens peut-on faire venir au cinéma ?
Le duo McQ-Cruise fonctionne parce qu’ils partagent cet amour du cinéma fait main (même s’il y a des moyens colossaux). Mais aussi parce qu’ils ont une vision d’ensemble : grâce à des succès comme Mission : Impossible, on peut produire des films indépendants de prestige, comme Anora (Sean Baker, 2024 ; Palme d’Or 2024 et Oscars du meilleur film et du meilleur réalisateur 2025). Et Cruise endosse ce rôle avec plaisir, n’hésitant pas à promouvoir les films des autres, car ainsi, il soutient le cinéma dans son ensemble — ce qui compte vraiment : personne ne gagne si tout le monde ne gagne pas. Il n’a pas manqué, bien sûr, de défendre le cinéma comme une expérience collective faite pour être vécue en salle.
En ce qui concerne l’aspect artisanal de leurs collaborations — Walkyrie (Bryan Singer, 2008), Top Gun : Maverick (Joseph Kosinski, 2022), ou encore la saga M:I — McQ affirme que l’action n’est qu’un spectacle creux s’il n’y a pas de personnages. Et Cruise, célèbre pour réaliser lui-même toutes ses cascades, sait incarner jusqu’au bout les scènes les plus extrêmes, en y mettant son visage et son cœur. Voilà l’essence de leur philosophie, et la clé de leur succès, tant artistique que commercial. Ce savoir-faire repose sur l’amour du travail bien fait, et l’attention portée au moindre détail. Infatigable, Cruise est présent sur le plateau même quand il ne joue pas : doublure pour les plans de pieds, force de proposition, ou soutien logistique. Sa passion pour le cinéma muet se révèle dans ses références à Buster Keaton ou Harold Lloyd, et à leur maîtrise de la narration visuelle dans les films des années 1910 et 1920.
Dans un réservoir d’eau en train d’esquiver des torpilles
Interrogés sur la préparation de leurs scènes d’action, ils les décrivent comme « une montre suisse qui capte l’attention du spectateur ». La complexité de ces scènes est évidente dès leur conception. Mais une chose est la planification, une autre est la physique réelle. Pour ce dernier opus, un immense réservoir a été construit pendant deux ans pour y tourner une scène sous-marine où le personnage d’Ethan Hunt est pris dans un tourbillon entouré de torpilles. Après avoir testé la scène avec un mannequin en plastique — que toutes les torpilles heurtaient — ils réalisèrent que seule une personne réelle pourrait vérifier la faisabilité… et cette personne ne pouvait être que Cruise. Ils révèlent également que la scène la plus impressionnante du film (et peut-être de toute la saga) est née d’un TikTok que McQ montra à l’acteur. « Je peux faire ça », lui répondit-il. Le reste appartient peut-être à l’histoire.
Quant à l’avenir de la franchise après trente ans, Cruise reste laconique mais catégorique : « ça a été très amusant ». Tous deux se gardent bien de révéler la fin de Mission : Impossible – Dead Reckoning, même si tout semble indiquer une direction. Quoi qu’il en soit, ce fut un formidable voyage mené par l’un des plus grands showman que le cinéma ait connus, et par un collaborateur fidèle qui a su magnifier encore davantage son héritage.
* Spécial Festival de Cannes 2025
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