
VICENÇ BATALLA. Le cinéaste iranien Jafar Panahi remporte la Palme d’Or avec Un simple accident (10 septembre en France), un thriller politique sur fond de torture par le régime. Tourné clandestinement dans son pays comme tous ses films, le jury du Festival de Cannes 2025 adresse ainsi un message fort, y compris cinématographiquement, au régime de Téhéran. Panahi avait déjà remporté d’autres prix à Cannes, mais ce premier prix semblait évident pour les risques qu’il continue à prendre avec ses acteurs et actrices, et pour sa capacité à faire de nécessité vertu pour finir par véhiculer une idée du cinéma, de la société et de la création de force et de réconciliation face à un pouvoir abject.
Le reste du palmarès est assez homogène, avec cinq grands films parmi les palmes d’or, d’argent et de bronze : Sentimental Value, de Joachim Trier, pour l’argent ; ex aequo Sirât, de l’Espagnol Óliver Laxe, et Sound of Falling, de l’Allemande Mascha Schilinski, pour le bronze. Un autre grand gagnant, L’Agent secret, du réalisateur brésilien Kleber Mendonça Filho, a remporté le prix de la mise en scène et celui du meilleur acteur pour Wagner Moura. Le prix de la meilleure actrice a été décerné à la française Nadia Melliti pour son rôle queer au sein d’une famille musulmane dans La petite fille de Hafsia Herzi. Les frères Jean-Pierre et Luc Dardenne continuent de collectionner les récompenses à Cannes (leur neuvième), remportant à nouveau le prix du meilleur scénario (pour la deuxième fois) pour Jeunes mères, qui aurait peut-être mérité un ex aequo de ses quatre actrices amatrices. Enfin, un Prix Spécial du Jury a été attribué à Résurrection de Bi Gan, de loin l’œuvre la plus originale de la sélection, bien qu’irrégulière, du jeune réalisateur chinois.

Dans une sélection où aucun film ne s’est démarqué des autres, et où certains films n’étaient peut-être pas à la hauteur, le film de Panahi avait une autorité morale. Tant pour les conditions dans lesquelles il a été réalisé que pour son contrôle du tempo, sa direction d’acteurs et sa recréation d’une histoire simple mais très complexe de ce qui se passe dans les prisons iraniennes, dont il a lui-même souffert. En une seule journée, ses protagonistes sont confrontés au dilemme de savoir ce qu’il faut faire d’un de leurs tortionnaires rencontré par hasard, aux problèmes de conscience que cela leur pose et à leur décision finale. Sans que Panahi perde l’humour, parce qu’il sait aussi faire de la satire.
Une compétition avec des hauts et des bas
Un autre réalisateur iranien, Saeed Roustaee, était en compétition avec Woman and Child, mais cet autre long métrage est beaucoup plus conventionnel, avec toutes les femmes à l’écran voilées et, en principe, produit en accord avec le régime. Bien que Roustaee ait également été persécutée pour son précédent film à Cannes et remet en question le patriarcat dans celui-ci. Les Aigles de la République de l’Égyptien-suédois Tarik Saleh, une satire du président Al-Sissi qui tente d’imiter l’âge d’or du cinéma égyptien, est un thriller trop stéréotypé.
Les réalisateurs confirmés n’ont rien eu comme Richard Linklater (son hommage à Godard dans Nouvelle vague est frais et aurait pu être récompensé), Kelly Reichardt (The Mastermind continue de démystifier son pays de manière clinique, en utilisant des anti-personnages), Ari Aster (Eddington est un plaidoyer anti-Trump, mais reste un peu trop lourdingue), Wes Anderson (The Phoenician Scheme n’est qu’une répétition de ses œuvres précédentes) et Lynne Ramsay (elle nous exaspère dans Die, my love avec une Jennifer Lawrence contrainte à des scènes gratuites).
D’autres cinéastes comme la Catalane Carla Simón, avec Romeria, est repartie bredouillée, mais reviendra sûrement car le film a été bien accueilli par la critique. Dans le cas d’une ancienne lauréate de la Palme d’or comme Julia Ducournau, il est surprenant de constater que les critiques français eux-mêmes ont coulé son Alpha, qui contient pourtant des choses intéressantes, tout comme ils l’avaient placé trop haut avec Titane. De son côté, le Français Dominik Moll livre avec Dossier 137 un thriller sur les violences policières, avec les gilets jaunes en toile de fond, efficace dans sa dénonciation. Oliver Hermanus raconte dans The History of Sound une histoire sensible sur les origines des enregistrements folkloriques américains et une relation homosexuelle impossible. Mario Martone offre une aura simple et optimiste à l’écrivain Goliarda Sapienza dans le Roman Fuori. Et l’Ukrainien Sergei Loznitsa donne une lecture sobre et très contemporaine des purges staliniennes dans Deux procureurs.
Les Palmes d’argent et bronze et un message final

En ce qui concerne les films primés, la médaille d’argent de Trier pour Sentimental Value est soutenue par un direction d’acteurs solide dans cette histoire d’un père (Stellan Skarsgard) et d’une fille (Renate Reinsve) qui mettent en scène leur relation compliquée à partir du monde du théâtre et du cinéma. Même si les deux bronzes pour Sirât et Sound of Falling auraient pu figurer dans la catégorie argent. Laxe quitte Cannes avec un Sirât incendiaire (dont nous reparlerons bientôt dans une interview) et l’Allemande Schilinski démontre avec son Bruit de chute qu’elle a un grand talent pour croiser les personnages féminins et les époques et le faire avec une grande virtuosité. Quant au Brésilien Mendonça Filho, un habitué de la compétition, il signe avec L’Agent secret son film le plus compact avec ce thriller politique pendant la dictature dans son pays dans les années 70 au rythme de la samba, bien incarnée par Wagner Moura.
Et pour finir avec Panahi et sa Palme d’Or, nous le faisons avec les mots qu’il a prononcés en recevant le prix des mains de Cate Blanchett et de la présidente du jury, Juliette Binoche : « C’est le moment de demander une chose, à tous les Iraniens et partout dans le monde. Mettons tous les problèmes, les différences à côté. Le plus important, c’est notre pays et la liberté de notre pays. Que personne ne nous demande ce qu’il faut mettre comme vêtement, ce qu’il faut dire, ce qu’il ne faut pas faire. Le cinéma est une société, personne n’a le droit de me dire ce que vous pouvez faire et ce que vous ne pouvez pas faire ». Plus tard, lors de la conférence de presse, il a ajouté : “Lorsque le prix a été annoncé, de nombreuses images ont circulé dans ma tête. Je n’arrêtais pas de voir mes amis en prison”
PALMARÈS CANNES 2025
Palme d’or : Yek tasadef sadeh (Un simple accident), de Jafar Panahi (Iran)
Grand prix : Sentimental value, de Joachim Trier (Norvège)
Prix du jury : ex-aequo Sirât, d’Óliver Laxe (Espagne) et In die Sonne schauen (Sound of Falling), de Mascha Schilinski (Allemagne)
Meilleure mise en scène : Kleber Mendonça Filho (Brésil) pour O agente secreto (L’agent secret)
Meilleur scénario : Jean-Pierre et Luc Dardenne (Belgique) pour Jeunes Mères
Meilleure actrice : Nadia Melliti (France) pour La Petite dernière de Hafsia Herzi
Meilleur acteur : Wagner Moura (Brésil) pour O agente secreto, de Kleber Mendonça Filho
Prix spécial du jury: Bi Gan (Chine) pour Resurrection
Caméra d’or (meilleur premier film toutes sections confondues) : The President’s Cake, de Hasan Hadi (Irak), présenté à la Quinzaine des Cinéastes
Mention spéciale Caméra d’or : My Father’s Shadow, d’Akinola Davis Jr. (Royaume-Uni Unido/Nigérie), présenté à Un Certain Regard
Meilleur court métrage : I’m Glad You’re Dead Now, de Tawfeek Barhom (France-Grèce-Palestine)
Mention spéciale court métrage : Ali, d’Adnan Al Rajeev (Bangladesh)
UN CERTAIN REGARD
Prix Un certain regard : La Misteriosa Mirada del Flamingo (Le Mystérieux regard du flamant), de Diego Céspedes (Xili)
Prix du jury : Un Poeta (Un poète), de Simón Mesa Soto (Colombie)
Meilleure mise en scène : Arab et Tarzan Nasser (Palestine), pour Once Upon a Time in Gaza
Meilleur acteur : Frank Dillane (Royaume-Uni), pour Urchin de Harris Dickinson
Meilleure actrice : Cleo Diára (Portugal), pour O Riso e a Faca (Le Rire et le couteau) de Pedro Pinho
Meilleur scénario : Harry Lighton et Adam Mars-Jones (Royaume-Uni), pour Pillion de Harry Lighton
QUINZAINE DES CINEASTES
Label Europa Cinemas : La Danse des renards, de Valéry Carnoy (Belgique)
Prix des auteurs de la SACD : La Danse des renards, de Valéry Carnoy (Belgique)
Choix du publique : The President’s Cake, de Hasan Hadi (Irak)
SEMAINE DE LA CRITIQUE
Grand Prix : Pee Chai Dai Ka (A Useful Ghost), de Ratchapoom Boonbunchachoke (Thaïlande)
Prix des auteurs de la SACD : Guillermo Galoe et Victor Alonso-Berbel, scénaristes de Ciudad sin sueño (Ville sans rêve) (Espagne)
PRIX AFCAE (Association française des cinémas d’art et essai)
O agente secreto, de Kleber Mendonça Filho (Brésil)
Mention Spéciale : Sirât, d’Oliver Laxe (Espagne)
L’OEIL D’OR (PRIX DU DOCUMENTAIRE)
Imago, de Déni Oumar Pitsaev (France/Belgique) présenté à la Semaine de la Critique
Prix Spécial : The Six Billion Dollars Man, d’Eugene Jarecki (Allemagne) en Séances spéciales du Palais des Festivals
* Spécial Festival de Cannes 2025
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