Mathilde Mottier/François Vila: “Nous avons beaucoup de francophones, mais une majorité de francophiles !

TYPHAINE MAUGET | Mathilde Mottier et François Vila, fondateurs et directeurs du Festival Oui ! avec l'affiche 2020 signé Oscar Llobet
TYPHAINE MAUGET | Mathilde Mottier et François Vila, fondateurs et directeurs du Festival Oui ! avec l’affiche 2020 signé Oscar Llobet

VICENÇ BATALLA. Les promoteurs enthousiastes Mathilde Mottier et François Vila mènent depuis quatre ans l’aventure du Festival Oui ! de théâtre français à Barcelone. Il y a eu même une édition de théâtre catalan à Paris du festival. Depuis 2017 cette expérience, qui a comme points d’ancrages l’Institut del Teatre et l’Institut français de Barcelone mais s’est élargie à d’autres salles et espaces de la ville, a contribué à faire connaître des compagnies de l’autre côté des Pyrénées. Et maintenant donne aussi ses fruits avec des échanges entre compagnies des deux pays. Cette nouvelle édition (4-16 février) s’axe sur les migrations avec plusieurs pièces sur cette thématique, mais s’ouvre à d’autres problématiques et sensibilités et s’adresse aussi à un public pour enfants. Dans les versions catalane et espagnole du site, nous racontons la programmation avec tous les détails. Mais voici pour mieux comprendre sa démarche les réponses de Mottier et Vila à nos questions.

Est-ce qu’on peut affirmer que l’émigration est le fil conducteur de cette quatrième édition du festival ? Quels sont les autres éléments à souligner de la sélection ?

Mathilde Mottier : “Plus qu’un fil conducteur, nous avons deux pièces qui se répondent sur le même sujet de la migration. ‘Gibraltar’ est née du désir de deux acteurs du Burkina Faso de raconter pourquoi le besoin de partir, mais aussi l’espoir du retour. Cette pièce a été écrite à partir d’une histoire réelle. ‘Mon livre de la jungle (My Calais story)’ a été écrite par Céline Brunelle à partir de sa propre expérience et de son implication auprès des migrants. Sa pièce permet de mettre des visages, des noms, des histoires sur de nombreux migrants qui sont avant tout des êtres humains, avec une histoire avant d’être des statistiques où l’on ne comptabilise que les victimes dans les médias. Mais s’il fallait y trouver un lien entre toutes, ce serait le parcours d’êtres humains confrontés à la vie”.

François Vila : “Nous avons envie de mettre toutes les pièces en avant, sinon nous ne les aurions pas choisies ! Nous aimons beaucoup l’écriture d’Alexandra Badea. Avec ‘Je ne marcherai plus dans les traces de tes pas’ elle plonge toujours sa plume sur des sujets qui interrogent notre société. On pourrait dire la même chose pour ‘Bonnes ondes’, d’Auriane Abécassis, et ‘Je vole…et le reste je le dirai aux ombres’, de Jean-Christophe Dollé, et bien sûr Laurent Gaudé dont nous présenterons ‘Onysos le furieux’, qui est l’auteur le plus connu du grand public de cette édition”.

Ces compagnies ont-elles déjà joué ces pièces en Catalogne ou en Espagne ?

MM : « Notre choix est guidé par les auteurs contemporains dont leurs œuvres sont inédites sur la Péninsule et que nous désirons contribuer à faire découvrir. Pour cela, la qualité de l’interprétation est importante. En général, il y a moins de compagnies de théâtre au contraire du cirque et de la danse qui franchissent les Pyrénées”.

Quelle est la différence entre votre programmation ou celles des autres salles barcelonaises ou le Festival Grec par rapport au théâtre francophone ?

FV : “Tout d’abord, les moyens de production et l’accès aux salles ne sont pas les mêmes qu’avec les nôtres. Les salles de Barcelone programment des durées souvent plus longues. Le Festival Grec est la vitrine de prestige culturelle de la ville de Barcelone, qui donne des moyens conséquents pour atteindre ses objectifs. Nous avons de très bons rapports avec le Grec et nous apprécions la qualité de la programmation. La singularité de notre manifestation est de mettre en avant l’écriture contemporaine et la découverte d’artistes émergents par le vecteur de la langue française”.

Il y a-t-il des festivals en France qui peuvent servir comme référence, comme l’Off du Festival d’Avignon ?

FV : Nous connaissons très bien le Off (j’en ai même été un membre du conseil d’administration pendant cinq ans). Il faut savoir que le Off est une coordination de spectacles où chaque compagnie se produit financièrement pour y participer. Nous aimons y aller car cela a toujours été un lieu de découvertes pour le public et les professionnels. Peu le savent, mais Bernard-Marie Koltès y a débuté à la fois comme auteur et comme metteur en scène. L’actuel directeur du In, Olivier Py, y a présenté de nombreux spectacles”.

MM : “En général, nous découvrons les pièces en lecture avant qu’elles soient montées ou en sortie de résidences mais certaines sont découvertes au festival Off. Et d’autres pièces que nous programmons vont ensuite au Off. Cette année, ce sera le cas de ‘Je ne marcherai plus dans les traces de tes pas’. Au Festival Oui ! nous choisissons les pièces et nous rétribuons les acteurs et techniciens”.

Quel a été jusqu’à maintenant la réception du public catalan du festival ? Est-ce qu’il atteint une communauté au-delà du circuit francophone ?

FV : “Dès l’origine du festival, notre souhait à été de faire un festival dans le partage avec les barcelonais. C’est pour cela, que nous avons dès le début sous-titré les pièces même si c’est un coût important dans notre budget. Nous avons un axe de sensibilisation du public apprenant le français, qui est fidèle au festival. Cette année, nous irons présenter ‘Gibraltar’ à El Circol de Badalona grâce aux professeurs de l’EOI de Badalona. Nous avons beaucoup de francophones, mais une majorité de francophiles !”.

Quels types d’échanges avec la scène théâtrale catalane avez-vous déjà établi pendant tout ce temps-là ? La programmation parallèle Km0 répond à cette volonté d’impliquer directeurs, compagnies et traducteurs vers la scène française et à l’inverse ?

MM : Avant même de commencer le festival, nous avons rencontré beaucoup d’acteurs importants de la scène théâtrale de Barcelone : la Sala Beckett, le Lliure, le TNC Teatre Nacional de Catalunya, le Festival Grec, l’Almeria, l’Atrium, l’Espai Brossa… Le fait de créer le Km0 nous permet de tisser un lien avec les salles qui programment des auteurs francophones. Cette année, el Teatre Biblioteca de Catalunya programme ‘Juste la fin du monde’ de Jean-Luc Lagarce’ en catalan, mis en scène par Oriol Broggi. Et nous ferons une rencontre avec le traducteur de la pièce Ramon Vila. L’Akademia Teatre programme ‘Pour un oui ou pour un non’, de Nathalie Sarraute, mis en scène par Elena Fortuny aussi. Isabelle Bres, qui la jouera en catalan, nous a proposé une lecture de la pièce en français”.

Quels sont les futurs projets pour continuer à consolider ce rendez-vous ?

FV : Nous désirons continuer à faire connaître des œuvres francophones afin qu’elles soient produites en catalan et castillan, comme nous avons pu le faire avec ‘Pompier(s)’, de Jean-Benoit Patricot. Nous l’avions présentée en français en 2017 et elle est devenu ‘Bomber(S)’ à l’Akademia Teatre avant de partir en tournée. Ainsi que ‘La magie lente’, de Denis Lachaud, que nous avons présenté en 2019 et qui sera adapté en 2020 par le Dau al Sec en catalan”.

 

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